Il y a une semaine, une violente attaque armée a coûté la vie à plus de cent militaires déployés autour du lac Tchad. Sur le terrain, dès le lendemain matin, Mahamat Kaka découvre — ou feint de découvrir — que les soldats de l’Armée nationale tchadienne (ANT) étaient affamés et sous-équipés, en contraste saisissant avec les unités d’élite de la DGSSIE, bien approvisionnées. Dans la foulée, Mahamat Zen Bada convoque l’état-major dans une scène humiliante, brandissant en liquide une somme de cent millions de francs CFA en dons ; le lendemain, un autre bureau de soutien offre des moutons pour les militaires. Parallèlement, le secrétaire général de la présidence, Mahamat Ahmad Alhabo, émet une circulaire exigeant des fonctionnaires de la présidence qu’ils contribuent financièrement pour l’armée, bien que cette demande soit d’un caractère illégal notoire.
L’analyse du décret portant répartition des crédits budgétaires pour l’année 2024 révèle que le budget alloué aux forces armées atteint la somme astronomique de 340 milliards de francs CFA, soit un montant supérieur au budget combiné de l’Éducation et de la Santé. Ce montant représente un quart du budget total de l’État et plus de 5 % du PIB national, dédiés aux dépenses militaires. À ce budget, s’ajoutent, selon des sources TchadOne, des achats de matériel via le mécanisme du « dépense avant ordonnancement ». La question se pose alors : comment expliquer que, malgré ces fonds colossaux, les militaires postés dans des zones sensibles manquent de nourriture, d’équipements de base, et, plus grave encore, de munitions ?
Pourquoi, avec un budget de 340 milliards de francs CFA par an, l’armée se retrouve-t-elle dans le besoin de donations informelles, de moutons et de contributions illégales prélevées sur les salaires des fonctionnaires ? La réponse réside dans une double problématique : une corruption systémique qui détourne les fonds publics, et une distribution inégale des ressources. En effet, 80 % du budget de la Défense sont orientés vers la DGSSIE et la FIR, qui, tout en captant la majeure partie du budget militaire, ne représentent que 25 % des effectifs de l’armée.
Dans son ouvrage majeur De la guerre, le théoricien et général prussien Carl von Clausewitz définit une « trinité essentielle » pour remporter la victoire : un gouvernement compétent, une armée organisée et une société unie autour d’un objectif commun. En 34 ans de gouvernance chaotique, le MPS a systématiquement affaibli les fondements mêmes de l’État, gangrénant ses institutions par le népotisme et la corruption, transformant l’armée nationale en une structure tribalisée, et, surtout, brisant le sentiment d’appartenance des Tchadiens à une communauté de destin par une politique de division savamment orchestrée. Ce sont aussi là les enseignements des événements des derniers jours. Aux forces politiques aspirant à un Tchad renouvelé, à ceux qui portent encore en eux l’amour de ce pays, il incombe aujourd’hui de tirer les leçons de ce drame et de ce théâtre. Il est temps de tracer les contours d’un État où il fait bon vivre, où les Tchadiens pourront vivre en paix et en sécurité, sous la protection d’une armée nationale dotée de moyens à la hauteur des défis qu’impose un territoire aussi vaste, riche et convoité.