Paris, France – Le 21 juin 2023, Emmanuel Macron a accueilli le chef de la junte militaire tchadienne lors d’une rencontre à l’Élysée. L’événement a été marqué par plusieurs aspects intrigants, notamment la réception discrète dans la cour arrière de l’Élysée, à l’abri des regards de la presse française. Aucune communication officielle n’a été faite par la présidence française concernant cette réunion qui s’est déroulée à huis clos et a duré seulement 30 minutes. Kaka a été reçu seul, sans ses collaborateurs. Aucun article n’a été publié dans la presse française au sujet de cette rencontre, suggérant ainsi une volonté de l’Élysée de prendre ses distances avec le dictateur devenu problématique depuis le massacre du 20 octobre. Dès le début de la discussion, le chef de la junte a présenté de nouvelles excuses pour l' »incident malheureux » survenu à Adré, où des soldats français avaient été désarmés et immobilisés. Les images de cet incident avaient largement circulé dans la presse internationale, en particulier russe et turque.
Au-delà de la forme, le fond de la rencontre suscite des questionnements et nécessite un retour en arrière de deux ans pour être pleinement compris. Emmanuel Macron s’était personnellement engagé en faveur de la transition tchadienne, mettant en avant la crédibilité et l’influence de la France tant auprès de l’Union européenne que de la communauté internationale. Paris avait également déployé des efforts considérables pour convaincre l’ancienne opposition démocratique de rejoindre la transition, prenant notamment contact avec Masra à un stade ultérieur afin de persuader les Transformateurs de rejoindre le processus. De plus, la France avait influencé le choix de Doha en tant que lieu du pré-dialogue avec les acteurs politico-militaires. Sur le plan économique, le gouvernement français avait obtenu le soutien du FMI pour accompagner la junte. On se souvient des déclarations de l’époque : « La France n’acceptera jamais une transmission dynastique du pouvoir ». Deux ans plus tard, les stratèges français sont confrontés à une réalité amère : une dictature de plus en plus répressive, un dialogue politique bloqué, une montée du sentiment anti-français, un pays isolé (en conflit avec l’UA, la CEEAC, les États-Unis et l’Allemagne) et un Mahamat Kaka qui ne cache pas ses ambitions de succéder à son défunt père dans un pays en impasse politique et sociale, au bord de l’implosion.
Emmanuel Macron et le chef de la junte ont abordé trois questions cruciales, selon des sources diplomatiques et politiques tchadiennes.
La première préoccupation concerne l’engagement de la France et de l’Union européenne à soutenir la position de principe de l’Union africaine (UA) concernant la non-participation des acteurs de la transition aux prochaines élections.
La deuxième question porte sur la nécessité d’une plus grande ouverture politique afin de permettre le retour de Masra et d’autres opposants actuellement hors du pays pour des raisons de sécurité. Une telle ouverture est considérée comme une condition sine qua non pour bénéficier d’un soutien financier de la part de la France.
Enfin, la troisième préoccupation concerne la volonté d’éviter tout rapprochement entre la junte tchadienne et les Forces de soutien rapide (FSR) du Général Hemeti, soupçonnées d’avoir des liens avec la société militaire privée Wagner.
Selon les mêmes sources recoupées par TchadOne, à l’issue de l’audience avec Macron, Kaka et ses proches ont été pris de panique. La nuit qui a suivi a été marquée par une tension palpable à l’hôtel où ils séjournaient. Cependant, le président français n’a pas explicitement demandé à Kaka de ne pas se présenter aux prochaines élections. Sa déclaration a été plus énigmatique, mentionnant la nécessité de clarifier les ambitions de Kaka pour « permettre à la France de se positionner ». Le terme « positionner » a suscité une certaine perplexité chez Kaka, qui a passé deux jours à tenter de comprendre les intentions réelles de la France, malgré l’aide de conseillers expérimentés tels qu’Annadif et Serge Pinault, alias Kogri.
Dans les cercles du pouvoir à Ndjamena, la spéculation va bon train quant à savoir si les Français ont déjà leur candidat favori pour les élections tchadiennes. Les noms de Faki, Masra, Mahdi et Sabre circulent, mais contrairement aux rumeurs répandues, la junte elle-même ne se faisait pas d’illusions quant au soutien de la France à la prochaine candidature de Kaka. Bien que ce dernier puisse être intellectuellement limité, il n’est pas naïf, et cette situation semble avoir été envisagée dans leurs calculs. Il convient également de noter que deux discrètes délégations ont déjà effectué des voyages à Moscou en début d’année, mais ce sujet mérite une attention particulière dont nous traiterons ultérieurement. La junte se prépare donc à se préparer à une succession sous haute tension avec le risque de sanctions internationales.
Correspondance particulière TchadOne à Ndjamena.