Dans un livre intitulé « De bédouin à président », probablement rédigé par d’autres mains et portant le nom du président de Transition du Tchad, deux passages ont été consacrés au président de la Commission de l’Union africaine, M. Moussa Faki Mahamat. Le premier concerne l’attitude qu’il lui a prêtée lors des obsèques du défunt Maréchal Idriss Deby Itno le 22 Avril 2021 au cours desquelles Moussa Faki aurait entretenu les Chefs d’État présents sur une prétendue ambition qu’il aurait de diriger la transition.
Le président de la Commission reviendra lui-même sur ce point le moment qu’il aura choisi, notamment sur ce qui est considéré dans l’ouvrage comme ses « ambitions affichées ».
Le second passage est relatif au discours que le Président de la Commission de l’Union africaine a prononcé à l’ouverture du Dialogue National le 20 août 2022 à N’Djamena et qui fera l’objet de la présente réaction.
Ainsi, le président Mahamat Idriss Deby Itno a estimé, selon son entendement, que le discours de M Moussa Faki Mahamat au Dialogue décrivait 30 années d’échecs répétés au Tchad, et qu’il avait oublié de rappeler toutes les fonctions (directeur de Cabinet, Premier ministre, Ministre des Affaires Étrangères, président de la Commission) qu’il avait occupées sous et grâce au président Idriss Deby Itno. Il précise que ce discours l’a considérablement choqué et qu’il n’a pas compris « cette trahison et ces mensonges ».
Par ces propos dit-il, Moussa Faki Mahamat pensait se dédouaner, voire renier son passé ; et d’ajouter que si quelqu’un avait quelque chose à se reprocher pour ses actions pendant cette période, c’est bien lui.
Le président de transition affirme en outre que ce dernier a craché sur un mort (Idriss Deby) alors qu’il était un ami, un parent et un confident du défunt, ce qui était une honte selon lui. Il conclut, sentencieux, que Moussa Faki Mahamat répondra de ses actes devant Dieu.
Il n’y a pas de doute, le signataire de « De bédouin à président » a eu une attitude ambivalente face au discours de Moussa Faki Mahamat. Lors du prononcé, il ne donnait nullement l’impression d’en être offusqué. Mieux, il l’applaudissait autant que toute l’assistance. Peu de temps après, il a dû changer d’avis, sans doute sous l’influence de quelques proches qui voyaient en Moussa Faki un concurrent potentiel de leur champion pour le fauteuil présidentiel que ce dernier était décidé coûte que coûte à conserver.
La visite effectuée au domicile du président de la Commission au lendemain de l’ouverture du Forum par deux proches collaborateurs du président de Transition et les menaces qu’ils ont proférés par rapport au discours, traduit bien ce revirement.
En revisitant objectivement les principales articulations de l’intervention de M. Moussa Faki Mahamat, l’on se demande où se trouve la trahison et les mensonges ?
Est-ce une trahison et des mensonges que de dire qu’« après trois décennies, nous nous retrouvons dans les mêmes, voire les pires conditions de tension et de recours à la force et à la violence pour tracer nos trajectoires politiques et pour écrire l’histoire de notre pays ? » La mort du Maréchal sur le champ de bataille en Avril 2021 et l’organisation d’un nouveau dialogue national après la CNS de Janvier 1993, ne sont-ils pas une éclatante manifestation du « retour à la case départ » comme cela a été dit dans le discours ?
N’est-il pas évident que tous « les Tchadiens, de l’intérieur comme ceux de la diaspora en ont assez de la guerre (…….) qu’ils aspirent à être gouverné autrement, (…….) qu’ils veulent enfin vivre et s’épanouir dans un Etat ou la justice, l’abondance, la quiétude, la tolérance et la joie seront désormais leur quotidien » ?
Est-il mensonger de rappeler la prolifération des rebellions, des mouvements et groupes armés créés dans notre pays, de s’interroger sur « la mort de nos enfants dans la vanité, par la vanité, pour la vanité, par l’absurde et l’absurdité……..de se demander combien de mères devenues veuves et d’enfants devenus orphelins depuis la première rébellion, jusqu’à celle qui a emporté le président Idriss Deby Itno » ?
N’est-elle pas réelle « la résurrection du communautarisme devenue un vrai cancer pour ce pays… » ? Trois ans après ces propos tenus par Moussa Faki Mahamat, le communautarisme, amplifié par les réseaux sociaux, a fait des centaines de morts sur le terrain et continue de miner la société tchadienne.
Est-ce une trahison de dire qu’« aucune communauté, aucun groupe, aucun parti (……) aucune entité quel que soient sa force, ses ambitions, ses atouts actuels ou potentiels ne peut prétendre gouverner seul ce pays complexe, divers et diversifié » ?
Ou encore d’affirmer que « pendant 60 ans, nous avons directement ou indirectement expérimenté les voies de l’erreur, de la déroute morale et qu’il est temps d’explorer de nouvelles voies pour le futur » ?
Est-ce toujours la trahison que de suggérer un « changement de notre gouvernance, de nos méthodes de gouvernement et de la structure des forces politiques et sociales appelés à porter de tels changements » ?
Est-ce peut être un délit d’appeler la Transition à « décider dans le sens de l’histoire, dans l’intérêt supérieur de la nation et d’éviter de tourner en rond « ?
Enfin, en quoi Moussa Faki Mahamat se dédouane-t-il ou renie-t-il son passé pour avoir seulement rappelé dans son allocution toutes ces évidences et cette logique que partageait d’ailleurs le Maréchal Idriss Deby Itno.
Prétendre que par ce discours, Moussa Faki Mahamat cherche à se dédouaner, à occulter ses responsabilités dans ce qui s’est passé au Tchad quand il y exerçait de hautes fonctions est une contrevérité choquante. Ce discours, prononcé devant des centaines de témoins, suivi par des milliers de Tchadiens anonymes, existe toujours. A cette occasion, Moussa Faki a clairement dit, et par une voix particulièrement audible, qu’il assumait pleinement sa part de responsabilisé. Il l’a réclamée et continue de la réclamer. Il est vrai qu’il l’a dit surtout dans la partie en langue arabe qui n’est pas, tout le monde le sait, la langue d’érudition du signataire de cette contrevérité.
Être redevable au Président Idriss Deby Itno de lui avoir confié les plus grandes charges doit-il dispenser Moussa Faki Mahamat du devoir de vérité ? Ce n’est pas là sa conception de la loyauté et de la fidélité en politique, encore moins de la vie dans une République.
Et que dire des propos selon lesquels Moussa Faki Mahamat aurait « quelque chose à se reprocher pour son action pendant cette période » ? Une affirmation qui ne repose sur aucun élément tangible. Les lecteurs de l’ouvrage et l’intéressé aimeraient bien connaître un peu plus sur cette action que de simples allusions à la limite de la diffamation.
« De bédoin à président » ne brille ni par la qualité de l’écriture ni par la vérité des faits concernant Moussa Faki Mahamat. L’ouvrage ne reflète qu’une lecture erronée de l’intervention du président de la Commission de l’Union africaine, omettant les pertinents conseils qu’il contient et dont la prise en compte aurait pu éviter tant de drames et de manquements encore plus sévères observés jusqu’à ce jour au Tchad.
L’accueil extrêmement enthousiaste réservé par la salle et au sein de l’opinion, pendant et après le discours de M. Faki, aurait dû édifier et inspirer le président de la Transition sur les véritables attentes de ses concitoyens. Le jugement qu’il en fait dans le livre ressemble fort à l’attitude de l’autruche. Dommage pour le Tchad et les Tchadiens.
Moussa M. Dago
Conseiller spécial du président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat