Le Tchad se dirige vers une présidentielle à hauts risques le 6 mai prochain
Arrivé au pouvoir en avril 2021 suite au décès de son père, Mahamat Idriss Deby ne prévoit pas autre chose que sa victoire à la présidentielle prévue le 6 mai prochain dans son pays, y compris à travers un passage en force. Un pari risqué pour la stabilité du Tchad, tant est forte la volonté de changement portée massivement par la jeunesse tchadienne, inspirée par ce qui vient de se passer au Sénégal.
Francis Sahel
Peu importe sa crédibilité scientifique, mais le sondage a bien le don d’exister à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle prévu le 6 mai au Tchad. Une étude d’opinion réalisée par Tchad One donne en effet l’ancien opposant et actuel Premier ministre Succès Masra vainqueur dès le premier tour de la présidentielle avec près de 60% des voix.
« Je gagne ou je gagne »
La difficulté de l’exercice, c’est que Mahamat Idriss Deby n’a pas prévu autre chose que sa victoire au scrutin présidentiel. En amont des opérations de vote, il déroule progressivement l’agenda qui devrait le conduire à cette victoire. Il a ainsi choisi de porter à tête de l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE), Ahmat Batchiret, un cacique du régime de son père. Le choix de porter cet homme réputé pour sa loyauté envers le clan Deby procède d’un calcul méticuleux qui pourrait se révéler très utile.
Afin de sécuriser sa victoire et de lui conférer le vernis juridique qui lui donnera le moment venu une légitimité, Mahamat a porté à la tête de la Cour constitutionnelle, juridiction en charge du contentieux électoral, Jean-Bernard Padaré, un ancien ministre de la Justice de son père. Signe de sa forte proximité avec Mahamat, Padaré, qui était il y a encore peu un des porte-parole du Mouvement patriotique du salut (MPS), était assis au premier rang du public présent à N’Djamena à la cérémonie de dédicace du livre autobiographique de Mahamat Idriss Deby « De Bédouin à président ».
L’agenda de la victoire programmée de Mahamat repose en outre sur la compromission de toutes les principales forces politiques du Tchad. En échange de la nomination de Saleh Kebzabo au poste de Médiateur de la république, après il a été PM de Transition, son parti Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR) a choisi de rallier la candidature du Mahamat Idriss Deby et donc de ne pas avoir son propre candidat. Même démarche pour le Parti pour les libertés et le développement (PLD), fondé par Ibni Oumar Mahamat Saleh tué en 2008 sous Deby père, qui a renoncé à avoir son propre candidat, son leader Ahmat Alhabo ayant hérité du maroquin de Secrétaire général de la présidence du Tchad, avec rang de ministre d’Etat.
Pour compléter sa stratégie de victoire, Mahamat s’est assuré de l’élimination par la Cour constitutionnelle de plusieurs candidats nordistes qui auraient pu disputer le même électorat que lui lors du scrutin présidentiel. Le scénario de la victoire de Deby fils a donc été élaboré avec la même précision qu’un plan d’état-major d’une armée en conflit.
L’effet Diomaye Faye
Et pourtant, tout pourrait ne pas se passer comme prévu. Profitant de l’écho reçu par la victoire de Bassirou Diomaye Faye au Sénégal, l’ancien opposant Succès Masra, un temps soupçonné de faire le jeu de Mahamat, mobilise la jeunesse tchadienne fortement désireuse de changement. Après la grandiose cérémonie de lancement de sa candidature, le leader du parti des Transformateurs laboure désormais le terrain, accompagné d’une ferveur et d’une mobilisation des jeunes qui n’ont connu depuis leur naissance que Deby père et fils à la tête du Tchad. Avec environ le même âge que Diomèye Faye et Ousmane Sonko, Masra se positionne comme le candidat de la « rupture systémique » face à « Mahamat l’héritier et le gardien des privilèges de l’ancienne oligarchie ». Les thématiques portées par Masra ajoutées à ses qualités de tribun face au président-candidat Mahamat Idriss Deby plutôt timide et sans charisme semblent séduire une grande partie de l’électorat, particulièrement les jeunes, qui souhaitent en découdre avec Deby père et fils dans les urnes. Mais rien n’indique que la dynamique de changement suffise à consacrer une alternance à la tête de l’Etat tchadien.
Lendemains incertains
Par le seul fait des institutions d’organisation des opérations de vote, de recensement et de proclamation des résultats, les électeurs sénégalais qui ont plébiscité Diomèye Faye n’ont pas eu besoin de défendre leur choix dans la rue. Tout porte à croire qu’il en sera autrement au Tchad tant des signes évidents du pronunciamiento apparaissent déjà. Que va-faire Succès Masra l’adversaire le plus sérieux de Mahamat Idriss Deby si la dynamique du changement portée par la jeunesse tchadienne lui profitait et que le pouvoir confisquait la vérité des urnes ?
En octobre 2022, la confrontation entre le parti des Transformateurs et le régime de Mahamat Idriss Deby dit Kaka avait fait des dizaines de morts et des milliers d’arrestations. Les forces de défense et de sécurité, y compris l’armée, avaient été engagées dans une opération de répression féroce.
Ce scénario va-t-il se répéter à nouveau. Une autre hypothèque pèse lourdement par ailleurs sur la fin de la transition tchadienne : la réaction de la famille et des partisans de l’opposant Yaya Dillo Djérou, autre adversaire sérieux de Mahamat Idriss Deby, tué d’une balle dans la tête alors qu’il se préparait pour la présidentielle du 6 mai. Ceux qui connaissent les traditions et les coutumes du Tchad savent bien que l’élimination de Yaya Dillo Djérou ne peut pas rester sans réponse. Les seules inconnues sont la forme et la date de la réponse des proches de l’opposant « neutralisé ».
Quoi qu’il arrive, l’enjeu de la présidentielle dépasse largement le seul Tchad pour être scruté avec beaucoup d’attention dans la sous-région, particulièrement au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Dans ces trois pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), on soutient que si Mahamat Idriss Deby peut se présenter à la présidentielle après avoir dirigé la transition sans que la communauté internationale ait eu à redire, il n’y a aucune raison que Assimi Goïta ne puisse pas en faire autant au Mali tout comme Ibrahim Traoré au Burkina Faso et Abdourahamane Tiani au Niger.
Derrière l’apparence d’une présidentielle jouée d’avance, le Tchad pourrait réserver de grandes surprises, y compris à Mahamat Idriss Deby qui n’a prévu aucun autre scénario que sa victoire.
Le MondAfrique.