« C’est avec bonheur et honneur, joie et plaisir que je prends la parole devant vous en ce jour qui marque indubitablement l’évolution numérique de notre pays. Financé sur fonds propres de l’État à hauteur de 25 milliards de FCFA, ce projet de fibre optique permettra la croissance économique, une meilleure qualité d’internet et une baisse des prix. » Ces mots furent prononcés le 13 juillet 2019 lors de l’inauguration de la fibre optique Soudan-Adré-Ndjamena par le Dr Saleh Bachar, alors ministre des Postes et de l’Économie numérique, en présence du défunt président Idriss Deby. Cinq ans plus tard, l’heure n’est plus à l’euphorie : les prix pour les consommateurs n’ont pas baissé et la qualité du réseau reste médiocre. En 2019, la société publique SudaTchad gérait, avec la Sotel, le réseau national de fibre optique et était chargée de la maintenance et surtout, de la distribution de la fibre aux opérateurs de téléphonie et aux Fournisseurs d’accès à internet (FAI).
Mais en mars 2024, dans la plus grande opacité et en dehors de tout cadre légal, SudaTchad devient discrètement « SAFITEL CHAD » et installe des bureaux à Dubaï. Entre-temps, SAFITEL obtient le monopole sur la gestion de tout le réseau national de fibre optique (dorsales Tchad-Soudan et Tchad-Cameroun). Un cadre du ministère des Télécommunications interrogé par TchadOne explique : « Kerimo Deby s’est vu octroyer, d’abord par une convention signée entre l’État et SAFITEL, la gestion du réseau, puis l’État a cédé à 1 franc symbolique tout le réseau à Kerimo Deby. » Questionné sur la légalité de la démarche, notre fonctionnaire répond, dépité : « Que voulez-vous ? Le Tchad leur appartient. »
Selon deux sources de TchadOne, Kerimo Idriss Deby n’est pas seul dans l’affaire. Le feu vert de la présidence conditionnait la participation de Mahamat Kaka dans l’entreprise nouvellement créée. L’État tchadien, le contribuable pour être précis, a ainsi perdu plus de 100 milliards d’investissement par cette privatisation illégale. Le drame dans l’opération est la gestion chaotique du réseau national de fibre optique : coupures d’internet récurrentes, risque de faillite de nombreux petits fournisseurs d’accès à internet et, surtout, l’absence totale d’investissement pour raccorder les universités, l’administration et les hôpitaux au réseau.
La privatisation illégale du réseau national de fibre optique au profit de Mahamat Kaka et Kerimo Idriss Deby constitue une trahison des promesses initiales faites au peuple tchadien. Alors que ce projet devait marquer une révolution numérique et offrir une meilleure qualité de service à des prix abordables, les consommateurs se retrouvent pris en otage par un monopole opaque, sans contrôle ni régulation. La gestion désastreuse de la fibre optique entraîne non seulement une dégradation de la qualité des services internet avec des coupures récurrentes, mais maintient également des tarifs élevés, freinant ainsi l’accès à l’information et au développement économique pour la majorité des citoyens.
Les petits fournisseurs d’accès à internet (FAI), qui auraient pu stimuler la concurrence et offrir des services à moindre coût, sont désormais menacés de faillite. Cela ne fait qu’accentuer le fossé numérique entre les élites économiques, qui ironie de l’histoire, utilisent Starlink interdit aux tchadiens ordinaires , créant une fracture sociale plus profonde. Dans un contexte de transparence et de bonne gouvernance, ce type de privatisation aurait pu être évité, et le réseau aurait pu servir de levier pour le développement de l’éducation, de la santé et de l’administration. Au lieu de cela, les consommateurs tchadiens paient le prix d’une gestion prédatrice et monopolistique qui freine l’innovation et l’accès équitable aux services essentiels dans un monde de plus en plus connecté.
Correspondance particulière de TchadOne à N’Djamena.